Annales des Mines (1912, série 11, volume 2) [Image 76]

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DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES

il donnait la sienne en quelques mots qui exerçaient toujours la plus grande influence. Naturellement, tous les candidats, là et ailleurs, recherchaient son suffrage ; mais, parmi ceux qui ne pouvaient l'obtenir, pas un ne mettait en doute l'élévation des motifs qui lui faisaient refuser la préférence. Il appartenait aussi au Conseil de VObservatoire de Paris, et était on des amis les plus écoutés de cet établissement. Au nom de M. Baillaud, son directeur, rentré précipitamment pour assister à ses obsèques, au nom de tout le personnel, je salue la dépouille du grand homme que nous perdons. Après Faye et Tis_serand, il accepta de présider la Société astronomique de France. On pouvait se demander si les hautes facultés du Maître seraient pleinement appréciées dans ce nouveau milieu, où abondent des observateurs pleins de zèle, mais parfois peu préparés à goûter la rigueur parfaite d'une solution, ou à sonder toute la difficulté des problèmes. Son successeur actuel à ce fauteuil, mon ami M. Puiseux, nous dirait que toute crainte à cet égard fut vite dissipée, et que bientôt le prestige qui entourait déjà le nouveau président se nuança d'une affectueuse popularité. C'est que ce prodigieux érudit, cet analyste impeccable, savait sourire; il savait ignorer, il savait douter. Insatiable de faits, il trouvait toujours les mots qu'il fallait pour encourager les observateurs sincères ; et il a imprimé en eux, avec l'autorité de son propre exemple, la meilleure des leçons de prudence. Ainsi, qui eût osé proposer comme intangibles . des formules cosmogoniques, alors que lui-même se déclarait arrêté au seuil du mystère de l'origine du Monde? Ses recherches de mécanique céleste sont comme un champ fertile où de nombreux élèves sont venus glaner abondamment, et qui regardaient comme une récompense enviée l'approbation de cet. arbitre incontesté des hautes

DE M.

HENRI POINCARE

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recherches mathématiques. De ces relations trop courtes, ils ont gardé une sincère gratitude, et combien d'entre eux ont senti leurs yeux se mouiller de larmes à l'annonce de sa mort! Henri Poincaré présidait aussi le comité de rédaction du Bulletin astronomique, et il a maintenu haut la réputation de cette revue, où il avait remplacé son ami Tisserand, enlevé aussi bien prématurément à l'affection de tous. Il y retrouva quelque temps Callandreau, auquel le liait une amitié contractée à l'École Polytechnique, et que la mort a fauché aussi bien avant l'heure; l'un et l'autre l'ont précédé dans cette terre du Montparnasse, qui garde les dépouilles mortelles de tant d'astronomes. Henri Poincaré a eu l'occasion, trop fréquente, hélas ! de faire l'éloge de savants, ses contemporains ou ses prédécesseurs immédiats. Dans ces portraits, il a souvent parlé des joies de la famille, laissant par là entrevoir ce qu'il fut lui-même dans la sienne : c'est ce que pourraient seuls nous dire pleinement ceux qu'il laisse après lui, anéantis par l'irréparable malheur qui les frappe : cette noble femme qui lui a donné le plus respectable des foyers; ce fils qu'il a constamment guidé pas à pas, et qui marche déjà sur ses traces; ces filles, dont il sut être autant l'ami que le père; qu'ils nous permettent tous.de partager leur deuil et de leur offrir nos respectueuses condoléances. Et vous, cher et bien regretté Confrère, vous qui avez tant exploré le domaine de l'inconscient, vous avez laissé ignorer quelle était au juste l'idée que votre puissant esprit s'était faite du monde mystérieux où vous venez d'entrer. C'est parce qu'on n'y fait pas acception des personnes, que vous comptiez pour si peu les honneurs qui sont venus vous chercher en foule. Mais l'amour sincère de la vérité et de la justice, la bonté, le vrai désintéressement, toutes ces vertus enfin que nous vous avons connues, vous y ont fait