Annales des Mines (1909, série 10, volume 16) [Image 167]

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LES QUESTIONS OUVRIÈRES

ET LA SCIENCE ACTUARIELLE

condamner à disparaître, mais en le vivifiant au contact des terrains qu'il doit féconder. Dans cette tâche ardue, les actuaires peuvent compter sur le dévouement des économistes et des sociologues. Le Comité d'organisation autrichien a donc été particulièrement bien inspiré en inscrivant dans les termes les plus explicites une question sociale au nombre des sujets du programme : il ne s'est pas seulement montré fidèle à la tradition de ses aînés qui avaient déjà ouvert la porte des congrès à des spécialistes dépourvus du brevet d'actuaire ; il a, de plus, formulé à leur intention un appel direct de collaboration effective. Ce n'est pas que les actuaires aient besoin de recourir à des lumières du dehors pour traiter les problèmes sociaux. Dans les pays même qui ne sont point dotés d'une institution analogue à l'Association allemande de la science des assurances, l'actuaire peut prendre avec les réalités sociales un contact assez étroit pour que le tribut d« son expérience et de ses réflexions suffise à entretenir et à éclairer un débat : en France, notamment, la participation des actuaires tant aux travaux de la Ligue nationale de la Prévoyance et de la Mutualité qu'aux congrès mutualistes leur permet d'apprécier les difficultés que rencontre l'adaptation des règles mathématiques de l'assurance aux formes et aux coutumes des institutions ouvrières et à la mentalité du travailleur prévoyant. Mais, lorsqu'une institution nationale ne groupe point dans des séances de travail les économistes et les mathématiciens, les. congrès internationaux d'actuaires sont, pour ceux-ci, l'unique occasion de se rencontrer dans le domaine de la technique des assurances avec des spécialistes qui envisagent le côté social des problèmes à ré^ soudre. Toutefois les sociologues ne prétendent ni imposer de toutes pièces des solutions dont la hardiesse pourrait dé-

concerter la prudence des techniciens, ni substituer leurs vues générales aux contingences dont la pratique ne peut s'abstraire. Ils montrent au mathématicien de l'assurance le but à atteindre ; ils lui révèlent parfois des ressources qu'un esprit pénétrant et réfléchi distingue avec plus d'aisance que le technicien immobilisé par profession dans le perpétuel examen du même aspect des questions. Comme le voyageur à qui l'habitude des pérégrinations lointaines donne la rapidité du coup d'œil et la sûreté des appréciations, ils discernent les éléments des formes de prévoyance appropriées aux milieux sociaux dont ils connaissent les besoins. Mais, s'ils apportent aux actuaires le fruit d'une expérience et d'un savoir puisés à des sources distinctes, ils ne se hasardent nullement à indiquer des formules définitives ; ils tracent le plan général d'un vaste parc, mais ils n'en dessinent point les allées. Ce serait de leur part à la fois présomption et imprudence. En apportant aux actuaires leur collaboration, ils cherchent surtout à obtenir celle des actuaires ; ils savent quel trésor de science à la fois théorique et pratique possèdent les mathématiciens de l'assurance, et ils n'ont d'autre désir que de mettre en œuvre ces richesses intellectuelles pour le plus grand bien des classes laborieuses : certains d'ailleurs que, le jour où l'actuaire aura été gagné à la cause qui leur est chère, les financiers de l'assurance seront aisés à convaincre par l'intermédiaire de ce collaborateur de tous les instants.

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En un mot, Messieurs, les amis désintéressés de la prévoyance sociale se bornent à dresser l'échafaudage, et ils laissent aux architectes, c'est-à-dire aux assureurs et aux actuaires, la tâche et l'honneur de s'en servir pour la construction de l'édifice.