Annales des Mines (1908, série 10, volume 13) [Image 164]

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à peu près aux mêmes places, quand un nouveau plissement peu intense vient affecter un pays déjà régulièrement plissé; mais il n'y a plus, entre les plissements nouveaux et les plissements anciens, aucune relation nécessaire, ni de position, ni de direction, quand les plissements nouveaux sont très énergiques ; et la question n'a même plus aucun sens lorsque, dans l'une des deux phases successives du plissement, il s'est produit des nappes. Quant à l'orthogonalité d'un plissement principal et d'ondulations secondaires, elle paraît fréquente, mais non pas générale. De même, la disposition des plis suivant des méridiens et des parallèles, qui est, en France, une approximation assez grossière, ne se vérifie plus du tout dans, d'autres pays. C'est surtout de 1892 à 1894 que Marcel Bertrand s'était attardé à la poursuite de cette systématisation un peu chimérique. Il y renonça bientôt de lui-même, et l'on n'en trouve plus aucune trace dans ses derniers écrits. Son idée de coordonner tous les phénomènes géologiques autour de la formation des chaînes de montagnes successives est bien autrement intéressante et féconde. Née dans son esprit vers 1886, pendant qu'il lisait VAntlitz der Ercle, cette idée a eu sa pleine expression dans la conférence qu'il fit en 1894 au Congrès de Zurich, et elle domine encore la fin de son oeuvre et ses théories orogéniques, de 1900. Les chaînes successives sont, en quelque sorte, les chapitres de l'histoire du globe. Il n'est pas impossible qu'il y ait, entre ces chapitres et les jours mystérieux de la Genèse, une correspondance dont le secret nous est jusqu'ici caché. Actuellement, nous ne pouvons affirmer l'existence que de quatre chaînes, la huronienne, lu silurienne, l'hercynienne, l'alpine ; mais il y en a eu très probablement d'autres avant la période précambrienne. A chaque chaîne se rattache un cycle sédimentaire complet, qui va se répétant d'une chaîne à l'autre, et qui comprend quatre faciès : des terrains cristallins, tout au

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fond du géosynclinal primitif ; un flysch fin et schisteux, remplissage du premier géosynclinal, sur l'emplacement de la zone axiale ; un flysch grossier, remplissage des géosynclinaux de bordure, après l'élévation de l'axe central ; enfin des poudingues et des grès grossiers, plus ou moins semblables aux grès rouges, qui se déposent au pied de la chaîne déjà soulevée. Chaque chaîne a ses gneiss; chaque chaîne a son flysch schisteux, et, par exemple, c'est le Culm pour la chaîne hercynienne et les Schistes lustrés pour la chaîne alpine; chaque chaîne a son flysch, grossier, et c'est ici le terrain houiller, là le flysch éogène des Alpes; chaque chaîne, enfin, a ses grès rouges, comme on le sait pour les trois vieilles chaînes, ou tout au moins un terrain où abondent les poudingues, comme la mollasse alpine. Après quatorze années — et combien fécondes en transformations et en progrès pour la doctrine orogénique ! — cette esquisse reste très belle. Nous serions seulement tentés de la surcharger, parce que nous sommes de plus en plus frappés de la complexité des phénomènes; mais on risque, en la surchargeant, de masquer la loi qu'elle exprime et de compromettre l'impression d'ensemble. Il est très vrai, en tout cas, que « chaque chaîne a ses gneiss » ; personne n'avait encore su le dire, et voici, d'un seul coup, la pluralité des séries cristallophylliennes mise hors de contestation, et la liaison nécessaire du métamorphisme régional et de la condition géosynclinale définitivement promulguée. Ce sont là deux grandes conquêtes. Qu'importe, après cela, que, dans les détails de leur histoire, les chaînes diffèrent; que, par exemple, dans l'une d'elles, il y ait eu deux montées de métamorphisme, si je puis ainsi parler, et que, au contraire, dans une autre, le métamorphisme de la zone axiale se soit effectué comme en une fois et sans aucune discontinuité apparente? Ce qui importe, ce n'est pas que les chapitres soient identiques et se répètent