Annales des Mines (1908, série 10, volume 13) [Image 146]

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MARCEL BERTRAND

MARCEL BERTRAND 0 (1847-1907)

Par M. PIERRE TERMIER, Ingénieur en Chef des Mines, Professeur à l'Ecole Nationale Supérieure des Mines.

Tant qu'il y aura, dans la fraction pensante de l'humanité, des esprits curieux du lointain passé de la planète qui nous porte, ils conserveront avec piété le nom de Marcel Bertrand parmi ceux des lecteurs les plus perspicaces de l'histoire, infiniment mystérieuse, condensée et symbolisée au premier chapitre de la Genèse. Pendant les vingt-deux ans qu'a duré sa carrière scientifique, éclatante et courte ainsi que le passage d'une étoile filante dans les champs de la nuit, cet homme a été beaucoup plus qu'un géologue habile, un professeur écouté, un brillant académicien: il a été, au même tilre qu'Eduard Suess et tout autant que lui, le Géologue même, le héraut qui a mission de parler au nom de la Terre et d'en dévoiler les secrets. La foule, à la vérité, ne l'a pas connu. Il n'était point de ces savants qu'entoure nue sorte de popularité et dont l'éloge est répété par les ignorants eux-mêmes. Les journaux n'ont rien dit de lui ; et c'est sans commentaires qu'ils ont annoncé sa mort prématurée. Mais il a néanmoins goûté la gloire, la vraie gloire, la seule durable, celle qui est faite des applaudissements spontanés et désintéressés et de l'unanime admiration de tous les connaisseurs. (*) Eloge lu, le 27 avril 1908, devant la Société géologique de France réunie en séance générale annuelle.

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Cette carrière scientifique n'a commencé qu'avec l'année 1878. Rien ne la faisait prévoir, et ceux qui croient au hasard peuvent lui en attribuer la soudaine éclosion. Marcel Bertrand avait alors un peu plus de trente ans. Il était né à Paris le 2 juillet 1847. Son enfance et sa jeunesse avaient été celles d'un homme très bien doué, pour qui apprendre n'est qu'on jeu, qui est élevé dans le milieu le plus favorable à une haute culture intellectuelle, mais qui, grandissant au milieu de savants, de littérateurs, d'artistes et de poètes, et ayant lui-même une âme d'artiste, vibrante, ainsi qu'une lyre, à tout vent qui passe, n'éprouve pas le besoin de fixer très tôt sa vie, et retarde même autant que possible l'heure où il faudra bien faire un choix entre les diverses formes du culte de la Beauté. A vingt ans, et sans grand effort, il était entré à l'Ecole polytechnique, le troisième de la promotion ; et il en était sorti en 1869 le quatrième, en qualité d'élève-ingéniettr au Corps des Mines (*).. De 1869 à 1872, il avait suivi, sans enthousiasme aucun et même avec un dédain mal dissimulé, les cours de l'Ecole des Mines, trouvant terriblement ennuyeuse la géologie de Béguyer de Chancourtois, s'endormant à la leçon solennelle et interminable qu'Elie de Beaumont, suppléé par Chancourtois pour tout le reste du cours, venait faire sur le refroidissement dit globe, et n'ayant d'ailleurs, pour les applications de la science à l'industrie, qu'une indifférence courtoise et glacée. Entre temps, il avait pris part, avec les autres élèves-ingénieurs, à la défense de Paris assiégé. En 1872, enfin, il avait été nommé ingénieur ordinaire à Vesoul. Le service administratif n'était pas pour le passionner ; mais le haut pays franc-comtois, entre les dernières ondulations du Jura et les premiers (*) La promotion, à sa sortie, comptait 124 élèves. Les cinq premiers avaient choisi la carrière des mines. Voici leurs noms : Voisin, 1" ; <le Grossouvre, 2': Le Verrier, 3"; Bertrand, 4"; Boutan, 3".