Annales des Mines (1892, série 9, volume 1) [Image 145]

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PAROLES PRONONCÉES

AUX FUNÉRAILLES DE M. HENRY.

dans le modeste cimetière de ce village où il est né et qu'il a toujours tant aimé. Aimé au point que, quand il s'est senti frappé par un mal qui, malgré sa jeunesse, ne devait pas pardonner, il

borateur de M. Marié, alors Ingénieur en chef du Maté-

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se reprochait de l'avoir quitté, considérant presque comme

une punition du ciel de lui avoir été infidèle. « Paysan j'étais, me disait-il, paysan j'aurais dû rester ! » Comme si lorsque Dieu marque un enfant d'un rayon de sa puissance, il était loisible à cet enfant, devenu homme, de laisser s'éteindre ce rayon, comme si la flamme d'intelligence qui l'anime pouvait demeurer sous le boisseau, comme si, au risque de consumer son enveloppe même, elle ne devait répandre autour d'elle la chaleur et la lumière, et contribuer, pour sa part, au développement des connaissances de l'humanité ! Henry était de ces esprits privilégiés auxquels est échu en partage une haute intelligence, une rare faculté d'apprendre et de retenir, de briller dans tout ce qu'ils entre-

prennent, de faire progresser toutes les branches des sciences auxquelles ils s'attachent. Parti de rien, élevé au prix de sacrifices bien lourds, mais devant lesquels ses parents, sûrs avec raison de son avenir, ont eu le courage de ne pas reculer, il arrivait, très jeune, malgré les lacunes de son éducation rapide, à l'École polytechnique: il en sortait le second dans le Corps des Mines. Soit comme attaché au laboratoire de l'École supérieure des Mines, soit comme professeur à l'École de SaintÉtienne, soit comme ingénieur à Rive-de-Gier, en chimie, en métallurgie, en exploitation des mines, dans tout ce

qu'il a touché, il a laissé une trace lumineuse et un souvenir. Désigné à notre Compagnie par la réputation qu'il s'était rapidement acquise dans le Corps, il s'y occupa d'abord de l'exploitation technique des chemins de fer mais, bientôt distingué par un chef perspicace, autant que difficile dans ses choix, il devenait, en 1879, colla-

riel et de la Traction. Deux ans après, la mort de son chef lui laissait la direction d'un des services les plus importants et les plus lourds, qu'on aurait pu, avec raison, hésiter à confier à un ingénieur aussi jeune, si le passé n'avait en lui et partout garanti l'avenir et donné la certitude que ses robustes épaules étaient de taille à supporter le fardeau qu'on leur imposait. Pendant les dix années qu'il a passées à la tête de ce service, il n'en est pas une qui n'ait été marquée par une découverte nouvelle, une réforme, un perfectionnement, lentement étudié mais réalisé avec une sûreté, une précision qui ne laissaient jamais place à l'erreur et n'ont jamais comporté de rectification ultérieure. Ce n'est pas ici le lieu de rappeler le détail, ni de ses travaux passés, ni de ceux qu'il préparait et qu'il ne voulait produire que quand la réflexion les aurait mûris et assurés. Je me borne à dire qu'il s'y est toujours montré

un maître dont la perte est vivement ressentie par la Compagnie de Paris à Lyo' n et à la Méditerranée, et presque aussi vivement, je ne crains pas de le dire, par

ses collègues des autres Compagnies qui ne lui ont ménagé les preuves ni de leur estime ni de leur gratitude.

Et maintenant, toutes ces espérances sont brisées ; il n'y a plus rien à attendre de cet esprit si bien préparé

pour produire encore pendant de longues années. Il meurt à 45 ans ; faut-il le plaindre ? Dussé-je raviver la douleur d'une famille qu'il a comblée de ses bienfaits et à laquelle il était encore si nécessaire, il vaut mieux envier plutôt son sort ; il meurt dans la plénitude de la force et de l'intelligence, entouré d'unanimes et sincères regrets.

S'il est naturel que les heureux et les riches de la terre désirent prolonger jusqu'aux plus extrêmes limites de la vieillesse une vie qui, pour eux, a été souvent exempte