Annales des Mines (1888, série 8, volume 13) [Image 266]

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NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR L. E. GRUNER.

Sa carrière a eu, du commencement jusqu'à la fin, un caractère de simplicité et de sévérité qui lui donne une unité toute spéciale. Depuis sa jeunesse jusqu'à son dernier jour, il devait chercher la vérité sans relâche et suivre les inspirations de sa conscience; la célébrité lui est venue d'elle-même et par surcroît.

Emmanuel-Louis Gruner était né le 11 mai 1809, à Worblaufen, près de Berne, le quatrième d'une famille de seize enfants. Il descendait par sa mère de l'illustre naturaliste Albert de Haller, et par son père de l'auteur d'un ouvrage bien connu sur les glaciers. Il semblait donc destiné, par ses traditions de famille, à s'occuper d'études scientifiques ; ses goûts et son éducation contribuèrent à le diriger dans cette voie. De sa mère, qu'il

perdit à l'âge de vingt et un ans, il avait reçu des principes religieux qui devaient exercer la plus grande influence sur toute sa vie ; jusqu'à son dernier jour, il resta profondément chrétien et trouva dans sa croyance le courage et la force nécessaires pour supporter les épreuves qui devaient traverser ses dernières années. Il avait reçu dans sa jeunesse une instruction des plus complètes, mais par des méthodes toutes différentes de celle que l'on suit ordinairement en France. Entré vers l'âge de neuf ans dans l'institution de Gottstadt, au pied du Jura, il en sortit au mois d'août 1825. Cette institution

était dirigée par le pasteur Zehender, qui semble avoir été un éducateur éminent, si l'on en juge par le résultat obtenu et par le souvenir qu'avait conservé de lui son ancien élève. Tandis qu'en France l'uniformité des programmes plie sous un niveau uniforme toutes les intelligences, au risque d'écraser dès le début celles qui ne sont pas capables de supporter un fardeau trop lourd, à Gottstadt les élèves conservaient une indépendance relative qui leur permettait de se consacrer plus spé-

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cialement au* études les mieux appropriées à la tournure de leur esprit. Des promenades fréquentes dans les montagnes du Jura leur apprenaient à connaître la nature et à l'observer, tout en donnant à leur intelligence l'occasion d'une détente si utile après un travail prolongé. Un semblable régime exige évidemment une direction habile pour donner de bons résultats, mais il peut alors en fournir d'excellents ; c'était le cas à Gottstadt, comme le montre l'exemple de Gruner. Lorsqu'il entra dans cette institution, il semblait ne posséder qu'une intelligence

ordinaire et ne se distinguait que par son assiduité au travail et par l'égalité de son caractère. Peu à peu ses facultés, stimulées dans la voie qui leur convenait le mieux, celle des études scientifiques, prirent un remarquable développement; s'il ne montra pas les mêmes aptitudes au point de vue littéraire, il fit cependant de bonnes études classiques, grâce à cette énergie et à cette assiduité au travail qui devaient le caractériser jusqu'à son dernier jour.

En sortant de l'institution de Gottstadt, Gruner alla suivre, pendant deux ans, les cours de l'université de Genève ; son goût pour les études scientifiques continuait à se développer et à chercher les occasions de s'appliquer pratiquement. Pendant cette période, il présenta à la Société des arts de Genève un projet de machine qui lui valut une médaille de cette Société. Après avoir quitté l'université de Genève, en mai 1827, il semble avoir cherché sa voie pendant quelque temps;

il resta en effet pendant six à sept mois auprès de ses parents, incertain de la carrière qu'il allait choisir. Il se décida enfin à venir àParis au mois de février 1828 pour se préparer aux examens de l'École polytechnique. Cinq places étaient alors réservées aux Suisses dans-cette École, en souvenir des anciens traités d'alliance entre la France et les cantons confédérés.