Annales des Mines (1881, série 7, volume 19) [Image 131]

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ÉLOGE DE VICTOR REGNAULT.

ÉLOGE DE VICTOR REGNA U LT.

Regnault était trop expérimenté pour ignorer que la moindre erreur commise à l'origine sur les effets de la compression ou de la chaleur produirait de grands désordres, lorsqu'on atteindrait les limites supérieures. Il avait d'ail-

leurs, dans ses propres résultats, une confiance qu'il n'étendait guère jusqu'à ceux de ses devanciers, quels qu'ils fussent. Ne nous étonnons donc pas si, dans un travailhérissé de tant de difficultés et si grand par ses conséquences,

il a voulu, pour le plus grand bien de la science, que tout fût mesuré de ses propres yeux et pesé de ses propres mains.

Le véritable thermomètre étant le thermomètre à air, il détermine de nouveau la dilatation que l'air éprouve par la

chaleur. Le thermomètre usuel étant le

thermomètre à

mercure, il fixe la dilatation du mercure et sa compressibilité. On demandait que les verres de même nature se dila-

tent par la chaleur de la même manière; il démontre que chaque tube propre à fournir un thermomètre se dilate à sa façon et doit être étudié pour lui-même. Il constate avec la plus rare précision la force élastique de la vapeur d'eau depuis 34° au-dessous de zéro, quand a glace fournit la vapeur, jusqu'à 23o° au-dessus, c'est-àdire à la pression de 28 atmosphères. Il mesure la chaleur spécifique de l'eau liquide depuis zéro jusqu'à près de me; il détermine, enfin, la chaleur totale nécessaire pour réduire l'eau en vapeur sous des pressions variées. Le but pratique proposé à ses investigations était atteint ; des expé-

riences d'une exactitude sans égale et d'une originalité féconde, dont l'exposé gigantesque forme un volume entier de nos mémoires, mettaient les ingénieurs en possession de toutes les données nécessaires au calcul des machines à feu. Mais, si l'administration avait reçu pleine satisfaction,

la physique avait d'autres questions à résoudre,

que les

instruments créés par Regnault lui permettaient d'aborder, Remercions le ministère des travaux publics d'avoir per-

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mis que ses études fussent continuées et d'avoir pourvu

qu'elles entraînaient. Notre confrère ne pouvait s'en charger; il vivait modestement, lui et son nombreux entourage, des émoluments attachés à ses fonctions de professeur. Remarquons, cependant, que ces dépenses étaient relativement fort modérées, et que les travaux entrepris au profit de 11.,tat par Lavoisier, Gay-Lussac, Thé nard, Arago, Dulong, Fresnel, Regnault lui-même, s'ils ont beaucoup rapporté au pays, n'ont jamais ruiné le budget. `les grands savants étaient tous de grands patriotes prodigues de leur science et de leur temps, avares du trésor national. Ils ont créé au milieu de nous une tradition de désintéressement, d'abnégation et de respect pour les deniers publics, dont l'Académie est fière et qu'elle ne laisaux dépenses

sera jamais entamer.

Rien ne manquait aux études poursuivies par Regnault ; personnel, matériel, ressources, tout était d'accord pour les rendre bientôt complètes. La France pouvait s'enorgueillir de voir s'élever, sous la protection de sun gouvernement et par le dévouement de l'un de ses plus dignes fils, cette oeuvre monumentale. Le monde civilisé la recevait avec respect, la preuve nous en était bientôt donnée. Les événements de 1848 ayant surpris notre confrère au moment où l'exposé de ses travaux sur la vapeur d'eau vevait d'être publié, il semblait bien incertain que les études destinées à les compléter fussent continuées aux frais de l'État. La Société des ingénieurs de Londres, frappée de la beauté des résultats obtenus par Regnault, voulut mettre à sa disposition les fonds nécessaires à la poursuite de ses expériences. Cette proposition ne reçut pas son accomplissement; la France pourvut elle-même à la continuation de rceuvre commencée et qui reste son oeuvre ; mais on aime à rappeler ce vote libéral des ingénieurs anglais, constatant une fois de plus que la science appartient au inonde civilisé et qu'elle ne connaît pas de frontières.