Annales des Mines (1869, série 6, volume 15) [Image 25]

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NOTICE SUR P. BERTHIER.

NOTICE SUE P. BERTHIER.

leur donnait, même au loin, par les lignes suivantes qu'il écrivait à l'un de ses anciens élèves, qui venait de le quitter, pour débuter dans le professorat : « Il faut faire de la vraie science', pour fonder bien solidement votre réputation ;

peu m'importe le sujet, pourvu qu'il soit traité, à la manière des savants, qui vont au fond des choses, et qui n'avancent que de déductions en déductions, sans s'aven-

turer dans l'espace brumeux des suppositions. Les compilations et les ouvrages didactiques ne sont pas le fait des jeunes gens, les idées ne sont pas suffisamment

mûries dans leur esprit, et leur vue d'ensemble n'est « jamais sûre ; vous le verrez plus tard : l'âge et l'expérience modifieront extrêmement toutes vos opinions.

Votre premier soin doit être de vous mettre en état de remplir vos devoirs avec honneur, c'est-à-dire aussi bien qu'il vous sera possible ; c'est donc sur l'organisa-

tion de votre cours que toute votre attention doit se porter quant à présent. Il faut se mettre au courant de tout ce qui a été fait, pour établir une opinion sur toute chose, faire un choix de matériaux, coordonner ces

matériaux et en faire un tout bien lié, dans le but (, d'instruire votre auditoire et de lui inculquer les saines doctrines, c'est-à-dire de lui faire discerner le vrai du faux et même du douteux. C'est là un travail considérable et qui devra, ce me semble, absorber complétement votre temps, pendant les premières années ; mais il faut le faire, et ce n'est qu'à cette condition que vous prendrez rang parmi les hommes estimables de la science. Il vous méritera certainement une grande considération, et vous verrez qu'il vous procurera, en même temps, beaucoup de satisfaction de conscience. « Chemin faisant, vous signalerez toutes les lacunes de la

science, vous en prendrez note, et plus tard, vous vous mettrez à l'oeuvre, pour tâcher de remplir ces lacunes. Je trouverais même bien, que, dès ce moment, vous fissiez

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choix de quelque sujet de recherches, qui ne fût pas trop compliqué, pour faire diversion à vos travaux d'érudition et jeter un peu d'intérêt dans votre vie d'étude. Mais cela « est secondaire : le devoir avant tout : pour l'honnête homme, c'est la règle de toute la vie. » Dans ces fragments de correspondance, tout intime, il trace lui-même, d'une manière ferme, la route que les jeunes savants doivent suivre, et qu'il a constamment suivie ; il se caractérise lui-même. C'est toujours dans le même esprit d'équité et de discernement, avec le seul but de servir la science, que, toutes les

fois qu'il avait à se donner un adjoint pour le laboratoire d'essais, il choisissait le plus capable, sans aucune autre préoccupation. Ainsi, quand M. Regnault dut quitter le laboratoire de l'École, pour se livrer plus completement aux travaux de physique, qui l'ont illustré bientôt lui-même, Berthier alla chercher, dans la province,

celui de ses anciens élèves qui, incontestablement, avait

le plus de titres à cette succession ; car, dans son modeste laboratoire de Vesoul, et malgré les exigences d'un service ordinaire de sous-arrondissement, Ébelmen avait déjà donné la mesure d'une capacité exceptionnelle, qu'il manifesta, avec plus d'éclat encore, pour être, hélas ! enlevé d'une manière si triste et si prématurée! Aussi la mémoire de Berthier ne vivra-t-elle pas seulement dans les fastes de la science. L'École des Mines s'honorera

toujours de lui, et son nom y sera impérissable ; les nombreux élèves qu'il y a formés, directement ou indirectement, lui conserveront, à jamais, un souvenir de profonde reconnaissance.