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Annales des Mines (1908, série 10, volume 13)

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MARCEL

BERTRAND

chéri ! Enfin, le bouquet fini et renfermé dans le sac, nous descendons, quittant la lumière d'en haut et nous hâtant vers les gorges où la nuit tombe. Plaisant retour, gais propos, soirée radieuse, fleurs de la montagne, joie paternelle et joie de l'enfant, hélas !... Toutes ces choses sont passées Comme l'ombre et comme le vent !

Marcel Bertrand s'était marié tard. Au mois d'octobre de 1886, âgé déjà de trente-neuf ans, il avait épousé M Ue Mathilde Mascart, l'une des filles du célèbre physicien, membre de l'Académie des Sciences. Rarement union fut plus heureuse : de part et d'autre, l'intelligence la plus largement ouverte et la plus cultivée ; ici, la science audacieuse et profonde, et, avec la science, le goût inné de la beauté littéraire; là, un admirable talent de pianiste et la passion de l'art; sur tout cela, l'amour de la vie simple, le mépris de la richesse et le dédain du monde ; et, pour compléter l'entente et la fusion de ces deux âmes exceptionnelles, les mêmes idées générales et la plus vive inclination réciproque. On ne pouvait s'asseoir à ce foyer privilégié sans avoir l'impression du bonheur, de ce bonheur qui consiste dans la paix, qui survit aux chagrins inévitables, et qui est plus fort que la mort elle-même, comme l'amour, d'où il procède. Les chagrins vinrent vite, ainsi qu'ils ont coutume. Des sept filles, fruits de cette union, qui reçurent les noms de Jeanne, Fanny, Claire, Hélène, Thérèse, Marcelle et Louise, deux moururent en bas âge : Hélène en octobre 1893, à dix mois ; Marcelle à dix-huit mois, en septembre 1899. L'année 1899 s'acheva dans la tristesse et d ans l'inquiétude : tristesse de ce dernier deuil, si récent; inquiétude au sujet du grand-père, Joseph Bertrand, qui avait longtemps défié la vieillesse et dont

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l'esprit restait imperturbablement jeune, mais que l'on sentait maintenant frappé à mort. Et voici que commence 1900, l'année qui va être terrible ! Marcel Bertrand s'est remis au travail, dans une sorte de fièvre qui contraste avec sa sérénité habituelle : mais l'on peut croire que c'est pour tromper son chagrin et ses angoisses. Dans sa façon de parler, et surtout d'écrire, il y a plus que de l'ardeur, et même plus que de l'enthousiasme ; il y a quelque chose qui ressemble à de l'exaltation : mais l'horizon sous ses yeux s'est tellement agrandi, lui-même monte depuis si longtemps dans la connaissance et d'un pas si rapide, que cette exaltation semble, à ses amis, toute naturelle, et que personne ne songe à s'en alarmer. L'étude attentive des singularités tectoniques du bassin houiller du Gard l'a ramené à la recherche de la solution générale du problème de l'orogénie. Les faits lui paraissent maintenant assez nombreux, et assez semblables partout, dans le Gard, en Provence, dans les Alpes, pour que l'on puisse essayer de les relier par une théorie mécanique. La naissance d'une chaîne de montagnes, en Europe, comporterait les quatre phases suivantes : formation d'une grande fosse géosynclinale sur l'emplacement d'une zone où il y avait excès de la pesanteur; création d'un bourrelet au sud de la fosse, ce bourrelet n'étant que la compensation de l'affaissement du géosynclinal, et de la lente translation de son fond du nord vers le sud ; descente de ce bourrelet, sans cesse reformé et renouvelé, sur la fosse qu'il recouvre d'une nappe de charriage; enfin, élévation en masse de l'édifice sous-marin ainsi construit. Si l'on suppose que ces mouvements très simples soient uniformes, on peut représenter les vitesses par les espaces parcourus et leur appliquer les théorèmes de la conservation du centre de gravité et de la conservation des aires. Cela conduit à la conception d'un déplacement