Annales des Mines (1912, série 11, volume 2) [Image 77]

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DISCOURS PRONONCÉS AUX FUNÉRAILLES

cortège. Aussi je ne vous dis pas adieu, mais au revoir dans cet au-delà que la raison entrevoit, que le cœur devine, et où la paix a été promise aux hommes de bonne volonté.

DISCOURS DE M. LE GÉNÉRAL CORNILLE Commandant de l'École Polytechnique.

Messieurs, Lorsque Henri Poincaré eut quitté la carrière active* des Mines pour se vouer entièrement à l'enseignement et à la recherche scientifique, il voulut se maintenir en relations étroites avec l'École Polytechnique où il s'était formé, où, sans aucun doute, il avait trouvé sa voie, et qu'il aimait profondément. Il fut répétiteur d'analysependant une quinzaine d'années, jusqu'en 1897. Un peu plus tard, en 1904, il devint professeur d'astronomie. Le cours d'astronomie, à ce moment très menacé de suppression, ne dut peut-être de survivre qu'au nom d'Henri Poincaré, que les Conseils de l'École proposèrent, par acclamation, pour ainsi dire, au choix du Ministre, en vue de conserver le cours. Il se démit de ses fonctions de professeur un peu plus tard, mais ne cessa de s'occuper de l'Ecole. Membre du Conseil de Perfectionnement, il trouvait le temps d'en suivre avec attention les travaux, toujours prêt à donner les conseils qui lui étaient si souvent demandés, toujoursheureux de nous donner une collaboration effective. Il y a trois semaines environ, c'était à la fin de juin dernier, très désireux que j'étais que la voix d'Henri Poincaré se fît de nouveau entendre à l'École, j'allai le trouver chez, lui pour Lui demander de vouloir bien faire aux élèves, au

DE M. HENRI POINCARÉ

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cours de l'année scolaire prochaine, quelques conférences, dont il devait, bien entendu, fixer lui-même le sujet. Il avait accepté et je le quittai, particulièrement heureux de cet acquiescement que je considérais comme une bonne œuvre faite à l'École. Hélas ! sa voix ne résonnera plus dans l'amphithéâtreoù devait l'entendre une jeunesse attentive, pressée autour du Maître. L'École est en deuil, et comme frappée par un coup de foudre. Avec stupeur, avant-hier, elle apprenait qu'Henri Poincaré n'était plus. Et elle ne peut croire encore que cette pensée se soit si brusquement éteinte, cette pensée aux éclairs de laquelle il semblait qu'on allât pouvoir progresser par bonds rapides dans la connaissance des choses, cette pensée si puissante sur laquelle l'humanité pensante va rester peut-être comme interdite et stupéfaite de ne plus pouvoir compter. Des voix autorisées ont dit et diront l'œuvre immense du mathématicien et du penseur. Ce que j'avais à dire et à exprimer ici, — mais nul ne s'affligera plus que moi qu'elle ne puisse être exprimée comme il aurait fallu, — c'est la plainte longue, profonde et douloureuse de la vieille École penchée sur la froide dépouille de celui, trop tôt ravi, qui fut l'un de ses enfants les plus illustres, de l'un de ceux dont elle est et dont elle restera à bon droit le plus fière, de celui qui, puissant et grand par le génie, resta modeste et simple, fut bon, serviable et bienveillant pour tous. Et je ne puis que m'incliner devant ce cercueil, respectueusement et très bas, pour apporter à Henri Poincaré, au nom de l'École Polytechnique, le tribut et l'hommage, profondément et douloureusement émus, de notre admiration et de notre respect.