Annales des Mines (1904, série 10, volume 5) [Image 123]

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C'est d'hier seulement, après trente ans de procédures diverses, qu'ont été clos les derniers incidents de cette grave affaire, qui s'est déroulée au milieu de tant de phases judiciaires, restées célèbres. On ne fait pas de l'industrie avec des procès. Un Directeur qui n'aurait pas eu la foi robuste de Parran dans ses affaires et qui aurait eu quelques nerfs, aurait subi de cruelles angoisses à certaines périodes de cette lutte légendaire, notamment lorsqu'en 1879 le Ministre des Travaux publics, consulté par le Conseil d'État, d'où la solution devait en définitive dépendre, se prononçait contre la Société de Mokta. Ce n'était là qu'un orage. Il devait passer, sans atteindre l'affaire. Tout autre était la situation que créaient la rapide réduction et l'indéniable appauvrissement du gite en profondeur. Cet exemple devrait servir de leçon pour mieux faire comprendre ce que sont en réalité les affaires de mines. Le public croit volontiers que la mine a la pérennité que le droit lui donne par son assimilation avec un bien foncier. On oublie trop le caractère essentiellement périssable de tout gîte minéral. Sauf quelques mines de houille à surfaces très grandes dans des bassins houillers profonds et riches, toute exploitation, menée surtout avec l'intensité et par suite la rapidité qu'exige aujourd'hui la concurrence industrielle, ressemble beaucoup plus à une opération commerciale de durée relativement limitée, où il faut se garder de manger le fond avec le revenu, qu'à la culture d'un champ, comme le juriste continue à le dire. Pour un exploitant qui, placé dans les conditions ordinaires, peut avoir une surprise agréable par l'effet d'une heureuse découverte, combien ne peuvent même pas réaliser les espérances de la première heure, si autorisés que fussent ceux qui les ont données ! Ainsi, lorsque Paulin Talabot avait songé à créer l'affaire de Mokta, il l'avait fait étudier par Emilien Dumas, de Sommières (Gard), qui, pour n'être ni du Corps

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des Mines, ni de l'Université, ni avoir étendu ses travaux hors du Gard, n'en fut pas moins un géologue éminent dont l'œuvre fait autorité et qui était spécialement familiarisé avec les gites minéraux; et ses appréciations avaient été sanctionnées par Combes, qui fut, avec lui, commissaire pour l'appréciation des apports, lors de la constitution de la Société. Émilien Dumas avait tout d'abord estimé à 17 millions de tonnes, à la teneur de 65 pour 100, les ressources en vue, et cela exploitables à peu près exclusivement à ciel ouvert sur l'amas principal; des sondages, exécutés avant la constitution définitive de la Société, avaient même conduit à porter ces évaluations à 25 millions. De ces prévisions rapprochons la réalité. Dès 1873 on devait préparer l'exploitation souterraine, qui a pris un grand développement, puisque les traçages se sont étendus sur 2 kilomètres ; en profondeur, le niveau du chemin de fer étant à la cote + 26, on est descendu jusqu'à la cote — 35, et le gîte à ce niveau était presque totalement serré, la teneur tombant au-dessous de 50 p. 100. Bref l'exploitation dans les conditions industrielles de l'heure actuelle peut être considérée comme sensiblement terminée aujourd'hui, et le gîte n'aura pas produit beaucoup au delà de 6 millions et demi de tonnes. Dans ces conjonctures, si l'on voulait assurer la continuité de l'entreprise, il fallait trouver l'avatar qui la revivifiât en y consacrant une partie des bénéfices exceptionnels produits par les années 1873-1875, où le gîte avait produit annuellement aux environs de 400.000 tonnes. La chance favorisa Parran en lui présentant la circonstance voulue ; il a eu le mérite de l'apprécier exactement et d'en profiter. Le succès de Mokta avait suscité plusieurs entreprises analogues. Une Société s'était constituée, en 1872, sous les auspices de Rocard, ingénieur au Corps des Mines et