Annales des Mines (1895, série 9, volume 7) [Image 144]

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280 NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR ERNEST MALLARD.

NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR ERNEST MALLARD. 281

optiques correspondent justement aux trois orientations que l'aragonite pourrait prendre autour de son axe ver-

tical, si ce dernier était exactement ternaire. Dès lors plus de doute! Les groupements, qui engendrent les assemblages affectés d'anomalies optiques, doivent êtrele privilège des cristaux à symétrie-limite , c'est-à-dire très voisine de celle qui caractérise un degré plus élevé, et ils accusent la tendance de la nature à profiter de ce faible écart pour construire des édifices plus symétriquesque les matériaux composants. Après avoir justifié cette remarquable conclusion par toutes sortes d'exemples, Mallard aperçoit de suite que

cette propriété, qui fait entrer dans un même assemblage des matériaux d'orientation différente, n'est qu'une extension de la grande loi de l'isomorphisme, c'est-à-direde la faculté que possèdent des molécules intégrantes, non point identiques, mais assez semblables les unes aux autres, d'entrer en proportions quelconques dans la

construction d'un même cristal. Ce que font les molécules, les réseaux, c'est-à-dire les assemblages réguliersd'un certain nombre de particules, l'accomplissement. aussi pour leur compte. Ils se combinent entre eux ,_ à titre de réseaux isomorphes, bénéficiant par leur enchevêtrement ordonné d'une symétrie totale plus éle-

vée que ne serait celle de chacun d'eux pris

isolé--

ment.

Mallard va plus loin encore, et par une des plus heureuses inspirations de son génie, imagine de rattacher au même principe le fait, en apparence opposé aux précédents, du polymorphisme. Une substance est polymorphe, parce que, offrant par elle-même une forme-limite (fait déjà démontré par La Provostaye et Pasteur), elle. est, suivant les circonstances, susceptible de plusieurs. modes de groupement, d'ailleurs inégalement stables aux_ diverses températures, et dont chacun affecte une appa-

rence déterminée. Enfin, s'appuyant sur une expérience de Reusch , qui , par des croisements convenables de lames de mica, a réussi à reproduire les phénomènes de la polarisation rotatoire, Mallard n'hésite pas à ranger la rotation du plan de polarisation parmi les anomalies optiques que doivent présenter les corps à symétrie-. limite; et, dans une note où se déploient ses heureuses facultés d'analyste, il démontre que la théorie justifie cette conception. L'émotion excitée par ce mémoire fut considérable, et fit naître, selon la juste expression de M. Michel Lévy (*),

« une série de discussions qui rappelaient par plus d'un côté la lutte mémorable soutenue jadis par Fresnel ». Tandis que la plupart des savants de l'école allemande s'acharnaient, on peut le dire, à prendre la nouvelle doctrine en défaut, d'autres se passionnaient en sa faveur, réussissant parfois à faire saisir sur le fait la réalité des combinaisons annoncées par Mallard. Ce dernier, d'ailleurs, aussi modeste et courtois dans la controverse qu'il était ferme et résolu dans ses vues, ne songeait qu'a les étayer par de nouveaux exemples. Comme l'a si bien dit M. Wyrouboff(**), chez lui la théorie et la pratique mar-

chaient toujours côte à côte, et l'on ne saurait dire si c'est par ses conceptions d'ensemble plutôt que par ses observations de détail qu'il a le plus contribué à transformer complètement l'étude des corps cristallisés. Tout se tient dans son oeuvre, ajoute le même savant, et Mal-

lard a eu le droit de dire que ses conclusions n'étaient « que la traduction immédiate, et sans l'intervention d'aucune hypothèse, des faits incontestés qu'il avait observés et décrits ». (*) Discours aux funérailles de Mollard.

(**) Notice sur Mallard, dans le Bulletin de la Société française de minéralogie, 1894, p. 248.