Annales des Mines (1882, série 8, volume 2) [Image 17]

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NOTICE BIOGRAPII[QUE.

passionné pour leurs récits, l'enfant s'initiait à l'amour du pays près de ces obscurs héros de notre Normandie. En 1811, des devoirs de service séparèrent M. Le Play de sa famille, et l'une de ses soeurs se rendit à Honfleur avec son mari. Les deux époux n'avaient point d'enfant. Ils se prirent d'affection pour leur jeune neveu et l'emmenèrent à Paris, où ils lui firent donner la première instruction. Ils demeuraient rue de Grammont, n° 15, dans une maison dont ils étaient propriétaires, et qui existe encore à peu près telle qu'ils l'habitaient. Le jeune Frédéric fut placé comme externe, rue de Grétry, dans une école qui ne lui laissa aucun bon souvenir. Il fit son éducation litté-

raire dans le salon de ses parents, où, tous les soirs, son oncle réunissait d'anciens condisciples qui, nés dans l'aisance, mais moins heureux que lui, se trouvaient, après les désastres de la Révolution, sans famille et sans fortune. L'attrait de ces réunions était entretenu par une table hos-

pitalière, par une riche collection de livres formant la principale décoration du salon et surtout par d'incessantes causeries sur les lettres et les arts, sur les crimes de la Révolution, sur les gloires éclatantes, puis sur les poignantes tristesses de l'Empire. f-Dans un pareil milieu, l'esprit du jeune Frédéric acquit -une précoce maturité. Il y puisa sur

la littérature ancienne et sur l'histoire moderne de la france des opinions, qui furent d'abord momentanément effacées par les enseignements des écoles, mais qui plus tard reprirent leur juste Influence à mesure qu'avançant dans la vie, il constata l'abaissement du pays et chercha le remède àusa décadence. Devenue veuve en I 815, la tante de Frédéric le rendit 'à Eâ mère. Il revit Honfleur avec joie. Le luxe de l'apparte-

-mentlouis XVI, qu'il habitait hors des heures d'école, ne lui,9.1eaiE point fait oublier les vergers et les rivages normands. La vie en plein air de la campagne n'avait que gagné au parallèle qu'il en avait pu faire avec l'existence séden-

P. G. F. LE PLAY.

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taire de la ville. Ses premières impressions d'enfance ne s'étaient effacées et ne s'effacèrent jamais. Que de fois je fus témoin du charme qu'exerçaient sur Le Play le spectacle de la nature et l'étude de ses merveilleux ouvrages! i8, Le Play suivit comme externe les De 1818

classes d'humanités au collège du Havre. A sa sortie de rhétorique, il subit avec succès les épreuves du baccalauréat ès lettres. L'année 1823 fut l'époque décisive de sa vie. Il avait de bonne heure compris qu'il devait tenir son avenir de lui seul, et, comme diversion à ses études, il avait puisé dans quelques livres des notions d'arithmétique et de géométrie. Édifié par sa petite science théorique, un arpenteur, qu'il rencontrait souvent dans les champs, lui enseigna l'usage des jalons et de l'équerre, puis lui proposa de le prendre pour associé et.plus tard pour successeur. D'autre part, un ami de collège, qui se préparait à l'École polytechnique, l'engageait 'vivement à suivre la même direction. Ce conseil lui souriait ; mais ses aptitudes répondaient-elles aux difficultés de l'entreprise? Pour lever ses doutes, il se rendit auprès d'un ancien ami

de la famille, M. Dan de la Vauterie, alors ingénieur en chef des ponts et chaussées à Saint-Lô. Après un mois d'épreuve, son juge lui garantit le succès. M. Dan de la Vauterie était célibataire. La présence du jeune Le Play égayait son austère solitude. Il le prit pour commensal et devint son professeur. Dans cette communauté d'existence,

le maître, travailleur infatigable, au travail dès quatre heures du matin, fortifia et fixa définitivement chez l'élève

les habitudes laborieuses que celui-ci avait contractées dès sa plus tendre enfance. Dans les premiers jours de 1824,

Le Play fut envoyé à Paris pour faire ses mathématiques spéciales au lycée Saint-Louis, qui venait d'être fondé sur l'emplacement du vieux collège d'Harcourt, et où l'enseignement des sciences avait été très solidement établi. Mon père, alors professeur à ce lycée, n'eut pas de disciple plus