Annales des Mines (1877, série 7, volume 11) [Image 196]

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ÉLOGE D'ALE XANDRE BRONGNIART.

hésitaient à déclarer leur conversion à cette doctrine admirable, lorsque le jeune Alexandre Brongniart, à peine âgé de seize ans, s'employait avec ardeur à la propager.

Dans une dépendance de l'appartement que son père, alors architecte de l'hôtel des Invalides, y occupait en cette qualité, il avait organisé une salle de cours. Un jour, La-

voisier, depuis longtemps en relation avec la famille du professeur improvisé, trouvant les portes ouvertes, vint s'asseoir modestement parmi les élèves. Exposées avec conviction par la voix de la jeunesse, ses opinions étaient applaudies avec chaleur par des disciples qui, n'ayant rien à oublier, en acceptaient toutes les clartés. Peut-être coinprit-il en ce moment, mieux qu'au milieu de ses confrères, toujours troublés ou incertains, que, si l'ancienne chimie n'était pas encore vaincue, l'avenir appartenait à la nouvelle. Il vint avec grâce complimenter le jeune Brongniart,

confus de sa témérité, mais heureux d'avoir ignoré qu'il en exposait les lois devant leur immortel créateur, objet de son culte. Entré à l'École des mines en 1788, Alexandre Brongniart ne tardait point à visiter les houillères de l'Angleterre, et sir Joseph Banks ouvrait au jeune naturaliste sa noble et hospitalière maison, entourée, dès lors, de cette vénération que la science reconnaissante accordait plus tard à celle de Benjamin Delessert, son digne émule parmi nous. De retour en France, appelé à faire partie de l'armée et désigné pour prendre place dans le service de santé sur la frontière des Pyrénées, la passion de notre confrère pour l'histoire natu-

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contré à Bagnères avec un botaniste célèbre, Broussonet, de l'école de Montpellier, dont le mûrier à papier, .Broussonnetia papyrifera , rappelle le nom. De nombreuses courses dans tes Pyrénées françaises leur avaient appris combien ils avaient à gagner â mettre leur savoir en com-

mun. Un jour, après avoir obtenu la permission de dépasser les derniers postes français, les deux naturalistes, accompagnés d'un guide, pénétrèrent dans le cirque de Gavarnie, non loin de la brèche de Roland. On était au début du mois de thermidor de l'année 1794, en plein régime de la Terreur. En face des grandes beautés de la nature, il était permis à un jeune homme de vingt ans d'oublier pour un moment les passions et les malheurs de l'époque; le réveil fut prompt. Peu à peu Broussonet s'avança du côté de la frontière espagnole et, malgré les appels répétés de son camarade, convaincu qu'il s'égarait, il la dépassa et disparut. Mêlé aux affaires politiques du temps, Broussonet, tenté par l'occasion, venait d'échapper, en émigrant, au danger

qui le menaçait. Mais il laissait Brongniart, militaire en

activité, sous le coup d'une accusation terrible alors, comme complice de son émigration. N'ayant aucune explication à. donner de la disparition du compagnon de promenade dont le nom figurait sur le sauf-conduit qui leur

avait été accordé, Brongniart fut arrêté sur-le-champ et traîné jusqu'à Pau, non sans péril extrême à travers des populations surexcitées, en attendant le jugement qui devait le conduire à l'échafaud. Le district, sans tenir compte des droits du conseil de guerre, mit le guide au cachot et fit arrêter le commandant du bataillon qui gardait la frontière. Porté à la connaissance du comité de salut public,

relle, dont il pressentait qu'une méthode nouvelle allait bientôt rajeunir l'aspect, trouva large satisfaction dans cette contrée méridionale, au pied de hautes montagnes et non loin de la mer : tout y excitait son ardeur. Mais son séjour clans les Pyrénées, après avoir réalisé les espérances de sa vive curiosité, devait se terminer par

cet excès de pouvoir n'aurait pas suffi pour assurer une décision favorable à Brongniart, et son sort n'eût pas été douteux, si la chute de Robespierre n'eût amené sa déli-

une dangereuse aventure. Alexandre Brongniart s'était ren-

vrance, après un mois de captivité.